Demande de prise de position sur la transparence des bibliothèques par le Consortium et par la BIS
Réaction à la publication Programme 2017-2020 Information scientifique: accès, traitement et sauvegarde
[Publication 24.06.2016 | Mise à jour 13.04.2017]
Le Consortium des bibliothèques universitaires et domaine EPF suisses est une société simple, sans entité juridique morale, qui implique l’indépendance des membres qui la compose. Les bibliothèques et leur rectorat pourraient décider librement de la divulgation ou non des coûts par éditeur demandés par le citoyen M. Christian Gutknecht. La BIS est une association des bibliothécaires suisses, qui peut rédiger des prises de position. Ce billet demande au Consortium et à la BIS de prendre position sur la transparence des bibliothèques des hautes écoles. Elle aiderait à la réalisation du Programme 2017-2020 Information scientifique: accès, traitement et sauvegarde par swissuniversities. L'Open Access (OA) doit être accompagné d'instruments financiers pour maîtriser les coûts de la publication scientifique. Les prises de position du Consortium et BIS pourraient contribuer à éviter une transition vers l’OA à inflation constante, comme celle des licences durant 30 ans, sans rapport avec l'inflation nationale, et au détriment de la recherche et de l'éducation.
En 2014, M. Christian Gutknecht, en tant que citoyen, a demandé à toutes les bibliothèques des universités, des domaines EPF, et des HES, les coûts par éditeurs payés pour les e-journaux, e-books et bases de données, depuis 2010. Le point de départ de sa démarche est expliqué ici.
Je suis avec intérêt et attention cette démarche de transparence, sur la base de documents publiques, convaincue de l’utilité de l’abandon des Non-Disclosure Agreements (NDA) pour l’amélioration de la maîtrise des coûts de l’accès aux publications scientifiques, mesure essentielle dans un contexte de baisse à l’investissement de la Confédération dans l’éducation et la recherche actuelles et à moyen terme. Une telle réflexion a déjà été entreprise en Grande-Bretagne. Une des conclusions principales de ce document est que le manque de transparence autour de la communication scientifique est un obstacle évident à l’établissement de la maîtrise des coûts, laissant les chercheurs, les décideurs et les institutions dans le flou des implications systémiques de nouveaux modèles financiers. La publication en mai 2016 par le Ministère finlandais des coûts des licences par institution dans une base de données commune, démontre que la transparence est possible quand l’intérêt public et les lois sur la transparence sont utilisés.
Pour donner une idée des sommes en jeu, le coût global des licences, tous éditeurs confondus, est d'environ 250 mio frs pour le seul domaine des EPF entre 2010 et 2015.
Mais la transparence des coûts totaux ne suffit pas. Les coûts des licences par éditeurs 2010-2015 devrait être publiée à l’automne 2016, en raison du nouveau contexte politique suisse et européen:
- Le groupe de travail Open Access swissuniversities doit définir une stratégie réaliste de la transition vers l’OA. Créé début 2016, ce groupe rendra son travail fin 2016.
- Le groupe de travail Analyse des flux financiers dans le système suisse de publication scientifique financé par le FNS et swissuniversities rendra ses conclusions fin 2016. Il ne dispose pour le moment que des coûts totaux annuels par bibliothèque pour les e-journaux, e-books et bases de données.
- La proposition de programme 2017-2020 Information scientifique: accès, traitement et sauvegarde de mai 2016, sous l’égide de swissuniversities, faisant suite au programme CUS-P2 2013-2016, comprend l'intention de suivre la transformation du marché de l’édition scientifique : « si les principaux partenaires consortiaux soutiennent un Consortium renforcé et une direction commune des négociations avec les grands éditeurs scientifiques, il devient possible également en Suisse de suivre la transformation du marché qui se dessine, avec des ententes budgétaires au sein des hautes écoles. L’approvisionnement et les coûts du système de publications scientifiques doivent être progressivement mis en équivalence » (p.10 de la proposition)
- En mai 2016, les ministres européens se sont prononcés pour une réalisation de l’OA d’ici 2020, avec un nouvel argument économique : « Research and innovation generate economic growth and more jobs and provide solutions to societal challenges, the state secretary said. And that means a stronger Europe. To achieve that, Europe must be as attractive as possible for researchers and start-ups to locate here and for companies to invest (…). The results of publicly funded research are currently not accessible to people outside universities and knowledge institutions. As a result, teachers, doctors and entrepreneurs do not have access to the latest scientific insights that are so relevant to their work, and universities have to take out expensive subscriptions with publishers to gain access to publications ».
- dessiner l’évolution des coûts des licences par éditeur les 5 dernières années
- savoir si l’augmentation des dépenses par éditeur suit l’inflation nationale ou non
- examiner si la réalisation d’un oligopole est réalisé ou non en Suisse par les Big Six, ie Elsevier, Wiley, Wolters Kluwer, Thomson Reuters, Taylor & Francis, Springer-Nature (voir Résultats financiers 2015 de l’édition scientifique par l’EPRIST)
- envisager l’idée d’un gel de la progression des dépenses pour l’accès aux publications scientifiques en 2017-2020, afin de compenser le gel de la progression du budget à l'éducation et la recherche, en signe de soutien aux enseignants, aux jeunes et aux chercheurs. Le National a soutenu une augmentation de 2% par an en 2017-2020 contre 3,7% pour 2013-2016 (voir là).Ce gel pourrait faire pression lors des négociations avec les éditeurs.
- comparer les coûts passés, actuels et futurs, respectivement licences nationales, projet Licences Nationales, et projet Big Deals qui semblent se profiler, pour la création d’une bibliothèque digitale centralisée commune à tous les chercheurs suisses et citoyens (projet SLSP). Ces comparaisons contribueraient aux réflexions du groupe de travail Analyse des flux financiers dans le système suisse de publication scientifique
- négocier des publications OA gratuites ou pour les journaux sous abonnement
- préparer les futures négociations Big Deals sans NDA pour les abonnements aux journaux, articles Gold-OA ou hybrides, pour la maîtrise des coûts des publications scientifiques
- renforcer les réflexions sur l’introduction d’un droit à publication secondaire, comme révélé dans les blocs de texte modèles élaborés par le groupe de travail Task Force LDA pour la consultation sur la révision de la Loi sur le droit d’auteur, s’inspirant du modèle allemand.
- faciliter l’accès à l’information par différents acteurs de la publication scientifique, ie les chercheurs, rectorats, FNS, Consortium, SERI, swissuniversities, CUB, Conseil des EPF, Switch, etc
- réfléchir aux conséquences juridiques d’un changement de statut du Consortium, actuellement société simple, vers une structure intégrée à SLSP dont les statuts doivent aussi être définis (formes discutées: département au sein de swissuniversities ou switch, ou association ou S.A.), ou dans une structure indépendante (formes discutées: association ou fondation)
[ajout le 13.04.2017: La Conférences des Bibliothèques Universitaires (CBU), organe de tutelle du Consortium a publié le 26.12.2016 sa position sur l'Open Access, dont un paragraphe concerne celui de la transparence: " Sur le fond, nous reconnaissons l’importance de la transparence sur les coûts des souscriptions. Il est donc recommandé de refuser toute clause de confidentialité dans les contrats de licence. Dans les cas où ce type de clauses est posé en condition par l’éditeur, les bibliothèques donneront tout de même accès aux informations demandée dans le cadre prévu par la loi"]
Les bibliothèques des domaines EPF ont suivi l’avis favorable du Préposé fédéral à la transparence et à la protection des données, elles ont transmis leurs chiffres à M. Gutknecht, qui conformément à l’activation de la LTRans, les a publiés. Une procédure judiciaire entre l’Université de Genève et M. Gutknecht a donné raison à ce dernier, lui permettant aussi de publier ces coûts. Cette procédure juridique genevoise montre que la transparence des coûts prime sur le secret des affaires, qui n’en est pas un, puisque les éditeurs cotés en bourse publient déjà leurs résultats (à l’exception du groupe NPG-Springer qui n’est pas coté en bourse). Les Préposés cantonaux à la transparence et protection des données se sont prononcés pour la transparence des coûts par éditeur. Et enfin, il n’y a pas eu de rétorsions concrètes des éditeurs. Malgré ces précédents positifs, les résistances à la transparence perdurent.
Diverses hypothèses pourraient expliquer une résistance à la transparence. Certaines bibliothèques:
- pensent encore que la démarche de M. Gutknecht utilisant la LTrans est personnelle, et est une croisade et/ou une remise en question des bibliothèques, alors qu’aujourd’hui, la démarche s’inscrit bien dans le vaste chantier de l’identification de la stratégie de l’accès et diffusion des publications par swissuniversities, le SEFRI et le FNS.
- avancent que la publication des coûts par éditeurs ne sert à rien, car ces chiffres sont déjà échangés entre elles, et même internationalement, et cela suffirait. Mais l’accès à ces données par les chercheurs, citoyens, agences de financement de la recherche, ou autre partenaire institutionnel, en Suisse ou à l’étranger est entravé, voir impossible.
- rechignent à livrer leurs coûts par éditeurs, en raison d'oppositions personnelles par le passé à l’adoption par leur canton d’une Loi sur la Transparence. Mais la transparence des coûts des licences peut aussi être interprétée comme une mise à jour bénéfique du système de comptabilité des bibliothèques pour la maîtrise des dépenses publiques. En effet, quelle entreprise privée pourrait-elle éviter de présenter sur le champ aux autorités fiscales les dépenses par prestataires ? La Confédération prévoit déjà la transparence des marchés publics pour les montants de plus de 50'000 frs, et les fonctionnaires impliqués dans ces transactions doivent déclarer leurs liens ou conflits d’intérêts. Quelques anecdotes sont révélatrices des améliorations comptables à entreprendre: une bibliothèque envoie un colis postal plein de documents papier à analyser par M. Christian Gutknecht, une autre lui demande 4000 frs pour travail supplémentaire, et une autre demande de patienter encore quelques mois, voir un an pour l'obtention des chiffres!
- se trouveraient dans un conflit de loyauté avec le Consortium. Mais le Consortium est une société simple, comme indiqué par Sur de bons rails vers une plate-forme de services pour l'information scientifique datant de l’automne 2015. “Consortium is running since 2000 as a project, the Consorium is a simple company according to Swiss law, and Administrative handling via ETH Library and ETH Zurich”. Selon l’article 530 du code des obligations du code civil suisse, la société simple n'a pas de personnalité juridique. Contrairement aux personnes morales, elle ne peut en tant que telle ni agir ni être attaquée en justice, ni être l'objet de poursuites, ni être inscrite au Registre du commerce. J’interprète cet article de la façon suivante : chaque membre peut agir de façon indépendante du Consortium, en accord avec son rectorat de tutelle, y compris sur l’aspect de la divulgation des coûts des licences des bibliothèques. Et cela, même si les contrats contiennent des NDA, et n’ont pas été signés par les bibliothèques partenaires, mais par un membre du Consortium. En général, un Consortium est créé dans le domaine de la construction, par plusieurs entreprises, en vue de la réalisation d’un projet, qui a un début et une fin. Or le Consortium des bibliothèques est un projet qui dure depuis sa création en l’an... 2000. Le Préposé fédéral lui-même a enjoint M. Gutknecht de faire les demandes de transparence auprès de chaque bibliothèque et canton, constatant que le Consortium était bien une société simple (paragraphes 15 à 19 Empfehlung EDÖB).
Par conséquent, je souhaiterais que pour le début de l’automne 2016:
- le Consortium encourage par écrit ses membres bibliothécaires à décider de l'opportunité de publication ou non des coûts par éditeurs; en effet, dans sa forme actuelle, le Consortium permet la négociation des meilleurs prix des licences, mais chaque membre conserve sa pleine responsabilité et indépendance de contractant. Le Consortium les inciterait à se faire aider par leur rectorat, service juridique, département de tutelle et swissuniversities, afin de vérifier l’hypothèse suivante : le Consortium ne peut être tenu responsable par les éditeurs d’une violation des contrats comprenant un NDA, parce-qu’il n’a pas de personnalité juridique (société simple).
- la BIS rédige sa propre prise de position sur la transparence des coûts des bibliothèques.
Mais plus important encore, ces deux démarches seraient les premiers outils pour éloigner le spectre menaçant d’une transition à inflation constante vers l’OA, dans la continuité de celle des abonnements depuis 30 ans, et sans rapport avec l’inflation nationale. Cette hypothèse alarmiste, mais fondée, est formulée par M. Olivier Legendre en réaction aux négociations hollandaises avec Elsevier du printemps 2016: il faut veiller à éviter la signature de Big Deals incluant des clauses OA, et comportant des NDA, car dans ce cas, l'Open Access serait réalisé au détriment du citoyen et de la recherche.
Compléments
• ETH-Bereich (Empfehlung Eidg. Öffentlichkeitsbeauftragter - EDÖB)
• Universität Genf (Urteil ATA/154/2016 – Cour de Justice)
• Universität Bern (Entscheid Erziehungsdirektion Kanton Bern)
• KUB Freiburg (Empfehlung Öffentlichkeitsbeauftragte FR)
• Zentralbibliothek Zürich (Entscheid Bibliothekskommission der ZB Zürich)
• ZHAW (Rekurskommission der Zürcher Hochschulen)
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