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lundi 30 septembre 2019

Education des médias à Open Science (Partie 1)

Science - des choix rédactionnels journalistiques contestables

[Publication 30.09.2019]


CC-BY Emmanuel Boutet Coups de foudre sur Saint-Julien-en-Genevois
'Le journalisme scientifique n’a jamais été aussi important' et 'La science doit être mieux traitée', plaide le journaliste Olivier Dessibourg, président de l'Association suisse du journalisme scientifique, journaliste scientifique à Le Temps, et fondateur du site d’information scientifique du nouveau média heidinews. La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga renchérit avant la conférence World Science Journalism Conference de juillet 2019 à Lausanne: 'Le journalisme scientifique ne doit pas être le parent pauvre des rédactions'. Mais...

La moitié des 1656 journalistes sondés aux USA admettent qu'ils sont incertains à pouvoir repérer des recherches biaisées, truquées ou fabriquées. Qu’en est-il en Suisse? Depuis 2 ans et demi, j'observe que des médias réputés tels que la RTS, Le Temps ou la NZZ ont parfois relayé des articles scientifiques douteux, qui justifierait l’idée d’une formation à Open Science. Voici quelques exemples de contenus médias contestables; des thèmes de formation sont proposés en italique

  • Article primaire ATC Malachlorite® for treatment of patients with acute Plasmodium falciparum infection: A pilot study incorporating 500 patients in the rural area of Cameroon DOI 10.30574/gscbps.2018.2.2.0004

    Le nouveau modèle de publication Gold Open Access a généré son cortège de 'journaux prédateurs', qui imitent seulement un service de publication - révision par les pairs, archivage à long terme, faux Impact Factors, vérification d'affiliation et coordonnées, etc-. Ils se contentent d'encaisser le paiement de l'auteur ou de son unité de recherche en échange d'un accès libre immédiat pour les lecteurs sur internet, sans contrôle qualité minimum. Si le journal Le Temps détecte correctement plusieurs problèmes de l'article - affiliation des auteurs suspecte, données inventées et traitées de façon fantaisiste, manque de consentement des patients - Le Temps ne détecte pas la nature prédatrice de la revue. La prise en compte de cet élément aurait permis un traitement du sujet sous l'angle de l'escroquerie qui n'a rien à voir avec la science. Ce type d’article de presse érode inutilement la confiance du public dans la science. 
  • Media Nabelschnurblut ist die Chance für ein autistisches Mädchen auf Besserung – doch die Schweizer Firma zerstört die Zellen (08.2019)

    Un article de la NZZ relaie la douleur d’une famille: une biobanque en Suisse échoue à envoyer rapidement des cellules souches de cordon ombilical de bonne qualité aux USA pour traiter le fils autiste de la famille. Donner une voix à la famille qui souffre est respectable et louable, mais une information dans le texte principal, un encart ou un article ultérieur auraient pu expliquer au lecteur qu’aucun article scientifique primaire robuste ne démontre la validité de ce traitement très coûteux. Une simple recherche de 'reviews' dans des bases de données bibliographiques scientifiques'  auraient permis de repérer cette imposture. 

  • Article primaire Long-term benefit of Microbiota Transfer Therapy on autism symptoms and gut microbiota DOI 10.1038/s41598-019-42183-0

    Une recherche de commentaires sur un article primaire sur Twitter, exemple d'outil ‘post-reviewing’ aurait permis à CQFD/RTS de douter rapidement de la validité scientifique de l'article primaire - manque de contrôles expérimentaux, conflit d’intérêt, enfants autistes testés avant des adultes non autistes ou des autistes adultes, problème de consentement des enfants autistes étudiés, confusion association et causalité- et de renoncer à relayer au public cet article à faible valeur scientifique.  
  • Media Le patrimoine génétique induirait l’inégalité des richesses (06.2018)
    Editorial Donner ses données

    Source primaire Genetic Endowments and Wealth Inequality DOI 10.3386/w24642

    L'article de presse est issu d'un article primaire déposé sur une plateforme pre-print, et archives de journaux et revues, le Social Science Research Network (SSRN).
     L'article primaire est estampillé 'working paper' et laisse penser que c'est un 'pre-print'. Mais ce n'en est pas un, c’est un article de conférence en économie d’un journal publié [par Elsevier], mais sans revue par les pairs et dont la référence est publiées sur SSRN [détenu par Elsevier]. Cette façon de faire est courante en sciences économiques, et celle de la publication de rapport sans revue par les pairs aussi. Ces 2 pratiques sont inconnues par les autres domaines scientifiques. A ma connaissance, SSRN est la seule base bibliographique scientifique qui mélange des références au textes intégraux payants (archives) et des pre-prints, d'où une utilisation délicate de cette ressource d'information.

    Normalement, les serveurs pre-prints sont des outils pour les scientifiques, qui cherchent à améliorer leur manuscrit ou à confronter leurs idées avant publication dans un journal revu par les pairs, par obtention de critiques en ligne ou par contact à l’auteur; ils ne sont pas destinés aux journalistes. Il est prudent d'attendre des validations de contenus par les pairs, même si le 'peer-reviewing' ne garantit pas la validité d’un contenu; il augmente tout de même les chances de validité.

    'Le patrimoine génétique induirait l’inégalité des richesses' suggère un lien entre patrimoine génétique et richesse, alors que l’étude n’est pas causale, mais associative, et qu’une interprétation mécanistique est erronée, comme le répètent de nombreuses fois les auteurs de l'article primaire. Le journaliste aurait aussi pu titrer l'inverse 'Un statut économique élevé (la richesse) favorise une sélection du patrimoine génétique', puisque le sens de l'association n'est pas explorée dans l'article primaire. Cette inversion n'a pas du tout le même sens ni le même impact sur le lecteur... Toutes les études socio- et éco- génomiques sont ultra-sensibles et difficiles à appréhender. Dans le public, génétique suggère fixité, et donc déterminisme ce qui est inexact; mais cette croyance peut nourrir la récupération par des extrêmes politiques - thèses raciales, xénophobes, communautaristes, homophobes, etc -.

    La sélection de cet article de presse et son traitement rédactionnel par la rubrique Economie et dans l'éditorial du rédacteur en chef ont été contesté par les membres de la rubrique Sciences au journal Le Temps, sans succès. A quoi servent donc les journalistes scientifiques au sein d’une rédaction d’un journal réputé si leur avis n’est pas pris en compte ?

    La formation à l’utilisation des serveurs pre-prints et aux limites des études de données type Genome Wide Association (GWA)' / 'Big Data' permet des rédactions nuancées et explicatives.


  • La dernière phrase de l'article primaire se termine avec la phrase 'Further experiments are needed to evaluate the clinical impact of unsweetened caffeinated herbal tea ingestion at a cold temperature for weight control': en effet, elle n'a pas étudié du tout l'efficacité de l'ingestion de thé froid ou chaud non sucré comme régime pour perdre du poids. Et pourtant, la formulation du titre de l'article primaire Drink it Hot or Cold s'addresse au lecteur, comme pour adapter son comportement. Cela a sans doute encouragé le service de communication de Fribourg à sauter le pas: faire croire au lecteur qu'une étude avait porté sur un régime amaigrissant à base de thé. Désastreux: l'article primaire et le communiqué de presse institutionnel sont tous deux en open access, laissant penser à l'internaute qu'il peut maigrir avec du thé froid non sucré! Avec un peu de chance, un marchand appuyera sa campagne de  marketing pour un régime amaigrissant à base de thé froid, par ces 2 sources si scientifiques...

    Les communicants peuvent être abusés par les titres accrocheurs des scientifiques, il vaut donc la peine de lire à chaque fois toute la source primaire à relayer
Des progrès sont donc possibles aussi en Suisse en matière de traitement journalistique d’articles scientifiques, si importants pour la formation des opinions des citoyens et des politiques. Relayer des articles d'actualité scientifique c'est bien, mais relayer de véritables débats et controverses scientifiques est mieux, passionant et formateur pour le grand public!

Le Fond National Suisse (FNS) offre des formations aux médias aux chercheurs depuis des années. A leur tour, les journalistes et communicants institutionnels pourraient être formés à Open Science pour améliorer - la sélection de contenus scientifiques à relayer - et la précision des comptes rendus. L'idée d'un apprentissage des nouveaux outils Open Science par tous les acteurs de la diffusion scientifique -scientifiques, évaluateurs, et les journalistes- est même évoquée dans l'émission radio CQFD/RTS 'La Science poubelle (à partir de 17'25'') en 2016 déjà! J'ai proposé des thèmes de formation sous forme de posters à l’occasion de swissuniversities Open Science Action Plan: Kick-Off Forum du 17 octobre 2019. Swissuniversities, le FNS, et l'Association Suisse des Journalistes Scientifiques (ASJS),  peuvent commencer à s’engager à sensibiliser les journalistes/communiquants institutionnels à Open Science.  

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